Histoires gay originales
Le rendez-vous avait été fixé dans un bar sordide derrière les ateliers municipaux. La vitrine était tellement salle qu'on pouvait à peine distinguer les passants dans la rue. La propreté était tellement peu évidente que le lieutenant Dagget avait pris la peine d'essuyer la table avec un mouchoir en papier. La couleur de ce dernier à l'issue de la manœuvre ne laissa aucun doute quant à la fréquence du ménage : jamais.
Son arrivée légèrement en avance permettait à Dagget d'étudier les lieux. La salle crasseuse et enfumée, malgré l'interdiction du tabac dans les lieux publics, n'avait qu'une issue praticable. La porte derrière le bar était inaccessible en cas d'urgence et la porte donnant sur les toilettes ne permettait en aucun cas de s'échapper, le vasistas permettant de passer à peine un bras. L'hygiène des toilettes était à l'avenant du reste de l'établissement : inexistante. Aller pisser, ça pouvait encore aller en revanche, se laver les mains relevait de l'exploit, il aurait fallu passer tout le coin lavabo au karcher et utiliser le séchoir à main revenait à risquer une électrocution immédiate et définitive vu la quantité d'eau au sol.
Dagget détonnait dans cet environnement. Dans un premier temps, son entrée avait brusquement fait chuter la moyenne d'âge dans la salle. Son entrée avait ensuite provoqué un arrêt total des conversations, les individus présents jaugeant le nouveau venu. Puis l'ayant catalogué comme inoffensif, les conversations reprirent. Dagget s'était installé à une table dans un angle, lui permettant de surveiller la vitrine, la porte et la salle. Le patron, une sorte de pachyderme à allure vaguement humaine, était venu lui demander ce qu'il prendrait. Dagget avait failli répondre un demi mais s'était ravisé en demandant une bière en bouteille, ainsi il ne serait pas obligé d'utiliser un verre à la propreté plus que douteuse. Il valait mieux avoir l'air bête que l'herpès.
Dagget sirota sa bière en attendant l'arrivée du maire. Quand il arriva, les conversations à nouveaux s'interrompirent mais le silence n'était pas suspicieux mais respectueux. Le maire avait ses entrées dans cette population grâce à son système de clientélisme. Il vint directement s'assoir face à Dagget et lui demanda s'il avait rempli sa part du marché.
- Oui, j'ai l'original de l'enregistrement audio incriminant votre fils.
- Bien excellente chose. Je me moque de ce qui peut arriver à ce jeune con mais mon nom ne doit pas être associé à des histoires de mœurs.
Dagget eut du mal à réprimer un sourire, en effet les frasques du maire n'étaient un secret pour personne.
- Et vous, avez-vous amené ce qui est convenu ?
- Voilà, lieutenant. Ce sont les originaux et les négatifs des photos, votre père sera tranquille, répondit le Maire en tendant à Dagget une enveloppe épaisse. Le lieutenant s'en saisit et la glissa sous son manteau sans l'ouvrir.
Un peu plus loin dans la salle, un homme en apparence affalé et à moitié saoul, ne perdait en réalité pas une miette de la conversation des deux hommes. Equipé d'un micro directionnel, il enregistrait chaque mot et notait chaque geste. Cet article allait être le sommet de sa carrière. Une fois que les deux hommes se furent séparés, il attendit un moment puis simulant une démarche chancelante, il quitta à son tour l'estaminet.
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Dagget fila sans se retourner en direction du commissariat. A son arrivée, il se présenta dans le bureau du commissaire :
- C'st fait meonsieur le commissaire. Il détient la preuve.
- Parfait, le journaleux était là ?
- Oui, je l'ai repéré dès que je suis arrivé.
- Donc on peut s'attendre à du remue-ménage, vous savez que ça va tanguer pour vous mais nous serons là pour vous épauler. Je dois dire que j'admire votre prise de conscience.
- Je la dois à mon père.
- Ce vieux brigand ? Ne vous méprenez pas, votre père a été un excellent flic, hélas, il a fait un choix malheureux. Et je pense que vous ne devriez pas en souffrir. Lui en revanche devra répondre à des questions. Vous avez le dossier ?
- Oui, le voilà.
- Vous l'avez ouvert ?
- Non, j'ai scrupuleusement suivi vos directives.
- Parfait, prévenez votre père d'être là demain à la première heure.
- Bien monsieur, il sera là.
Dagget quitta le bureau et composa sur son portable le numéro de son père.
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- Madame le juge, ici le commissaire Chréteur. Tout est en place, je ne doute pas que le sieur Quaitte fasse ses choux gras de l'histoire que nous lui avons servie sur un plateau.
- Parfait, Monsieur le commissaire, je tiens le procureur au courant.
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Jean Quaitte patienta plusieurs minutes dans le café avant de se diriger d'une démarche hésitante vers la sortie. Il bouscula une table pour accréditer l'authenticité de son personnage et quitta le bar sous une bordée d'injures. Il continua sa route d'un pas hésitant jusqu'à une porte cochère où il pénétra. Seul un observateur avisé aurait pu remarquer le redressement soudain et l'énergie nouvelle de cet homme juste avant qu'il ne disparaisse dans l'ombre. Il se changea, rangea soigneusement son camouflage et rejoignit rapidement son domicile. Il venait de consulter sa montre, il avait deux heures avant le bouclage. Il tenait déjà son titre, sur cinq colonnes : "Tel maire, tel fils", un tabac, je vous dis.
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Ce fut la sonnerie du téléphone qui réveilla Robert. Il regarda machinalement l'heure : six heures trente. Bon sang, qui pouvait bien avoir besoin de lui à une heure pareille ? Il décrocha de fort méchante humeur, prêt à tancer l'insolent d'importance.
- Allo, dit-il d'une voix fort peu amène.
- Allo, bonjour monsieur le maire, je suis désolé de vous réveiller à une heure aussi matinale mais il faut que vous voyiez le journal …
- De quoi diable parlez-vous Albert ?, répondit le maire qui avait reconnu le concierge de la mairie.
- Il y a un article de ce monsieur Quaitte, vous savez celui à qui vous m'avez demandé de toujours répondre que vous étiez absent, il vous accuse de corruption et dit qu'il a des preuves que vous avez acheté un officier de police.
- Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
- Comme je vous le dis, monsieur le maire …
- J'arrive Albert. Vous avez les coordonnées de Mourad Ben Bali ?
- Oui, Monsieur.
- Appelez-le de suite et dites-lui de me rejoindre à la mairie.
- Bien Monsieur.
Robert venait de raccrocher. Encore une journée de merde, pensa-t-il. Cette fois-ci, le fouille-merde était allé trop loin et même s'il ne pouvait plus compter sur Lechat pour accomplir ses sales besognes, il ne doutait pas que Mourad le remplacerait avantageusement, il serait juste un peu moins fin et un peu plus cher mais quelle importance.