Vendredi 1 août 5 01 /08 /Août 15:56

CHAPITRE 8

- Gabriel, vous êtes en retard.

- Non Jean, je suis en avance, je ne comptais pas arriver avant midi.

- De quel droit m'appelez-vous par mon prénom ?

- Disons que, depuis le temps que vous utilisez le mien sans m'en avoir demandé l'autorisation, je pensais que nous étions intimes.

Quelques rires fusèrent dans l'agence. L'homme en face de Gabriel serrait les poings. Manifestement il essayait de garder son calme et contenait difficilement sa rage. Son poste de chef de service au sein de cette petite agence bancaire lui avait permis jusque-là de régner en petit chef sur une poignée de sujets serviles. Et voilà que cet hurluberlu se permettait de le contredire, que dis-je,  de le ridiculiser en public. Il convenait de faire cesser cela le plus vite possible, de frapper un grand coup, de faire un exemple pour ne pas qu'un tel comportement se propage et mette à mal une discipline dont il pouvait à juste titre être fier. De toute façon, il n'avait jamais aimé ce Gabriel, il avait une tête à faire de la subversion, il avait toujours eu du flair pour déceler ces fauteurs de trouble et aucun scrupule à les dénoncer à la direction, quitte à arranger les preuves.  

- Allons Jean, ne vous mettez pas martel en tête pour savoir comment vous allez me sacquer, je vous ai amené ma lettre de démission. En revanche en ma qualité de client de cette agence, je souhaiterai en voir le directeur.

- Monsieur le directeur est absent et je ne vois pas pourquoi il se déplacerait pour vous.

- Pour la simple et bonne raison, que s'il ne vient pas sur le champ, je cours déposer le chèque que voici chez un de vos concurrents.

En disant cela, Gabriel agita sous le nez de son interlocuteur le chèque établit le matin même par la Française des jeux. L'homme réussit sans peine à lire le montant inscrit dessus. Sans être un foudre de guerre, Jean Cive comprenait bien qu'on ne lui pardonnerait pas une telle bévue et subitement de dangereux fauteur de trouble, Gabriel venait de passer dans la catégorie de client très fortuné à manier avec précaution. Vous l'aurez compris, le sieur Cive savait se montrer obséquieux et servile avec les puissants mais être parfaitement intraitable avec les petits. Il proposa donc un excellent fauteuil à Gabriel et s'en fut lui-même quérir le directeur. Mis au courant, le directeur s'empressa de rejoindre Gabriel et le convia dans son bureau dont il ferma la porte au nez d'un Jean déconfit d'être ainsi évincé.

- Mon cher Gabriel, vous permettez que je vous appelle Gabriel ? Que puis-je faire pour vous être agréable ?

- Déjà, ne pas m'appeler Gabriel car durant les quatre années que nous avons passées ensemble dans cette agence, vous ne m'avez dit bonjour que quand vous ne pouviez pas faire autrement et encore on voyait bien que c'était de mauvaise grâce. Dans un second temps, vous allez faire prononcer la mutation de monsieur Cive loin de cette agence, afin de redonner le sourire à vos collaborateurs. 

- Pourquoi devrais-je accéder à vos exigences ?

- Pour deux raisons simples, la première c'est ce chèque, vous n'êtes pas stupide, vous savez que si je pars dans une autre banque, la direction ne vous le pardonnera pas ;  la seconde c'est que votre peur de Monsieur Cive n'est pas justifiée. Il sait que vous êtes homosexuel ? La belle affaire ! Tout le monde est au courant. Il s'est servi de votre peur et de votre lâcheté pour régner en potentat sur cette agence alors que vous savez comme moi qu'il n'en a ni les compétences, ni la carrure. Il est temps que vous redeveniez le chef.

- Comment savez-vous tout cela ?

- Comment importe peu, je vous donne l'occasion de redevenir un chef digne de ce nom, saisissez-là, osez et vous allez vous apercevoir que vos peurs sont infondées.

- Vous avez raison, cela fait trop longtemps que je ne vis plus. Je vous remercie de votre franchise. Puis-je vous demander de rester avec moi ?

- Bien entendu, ah, au fait, vous pouvez m'appeler Gabriel.

Le directeur sourit à la boutade et se leva. Il ouvrit la porte du bureau et fit appeler Monsieur Cive. Ce dernier arriva prestement faisant ainsi preuve de son obséquiosité légendaire.

- Oui, monsieur le directeur ?

- Monsieur Cive, au regard de vos résultats dans cette agence et de votre comportement vis-à-vis de ce client, j'ai décidé de proposer à la direction votre mutation à un poste administratif sans encadrement avec effet immédiat.

Cive se braqua, regarda fixement le directeur et lui cracha tel un serpent son venin :

- Je pense que vous faites une grossière erreur, monsieur le Directeur, la hiérarchie va être heureuse d'apprendre vos turpitudes, mais vos relations avec ce Gabriel ne laissaient présager rien de bon.

- Faites ce que bon vous semble, vous ramassez vos affaires et vous attendez chez vous une nouvelle affectation, je vous l'ai dit, "effet immédiat".

- Bien, lança Jean Cive d'un ton mordant.

L'homme tourna les talons et entra dans son bureau. Il décrocha son téléphone et composa un numéro interne à la société. Rapidement, son interlocuteur décrocha.

- Bonjour, je suis Monsieur Cive, Jean Cive de l'agence Paris – Littré, puis- je parler au directeur régional ?

- C'est moi-même, que puis-je pour vous ?

- Voilà, je souhaite porter à votre connaissance le comportement du directeur de l'agence.

Jean Cive débita son récit. Le ton qu'il employait montrait qu'il prenait plaisir à salir la réputation de son patron auprès de ses supérieurs. Bien entendu, l'histoire était tournée de telle façon qu'il se donnait le beau rôle. Mais pour qui le connaissait un tant soit peu, ses intentions étaient claires.

Son interlocuteur prit note de toutes les remarques, lui demanda de préciser les lieux et les dates, lui fit répéter son nom et enfin le remercia pour sa collaboration et son dévouement à l'entreprise. Jean Cive était ravi, il ne doutait pas que non seulement son patron serait viré mais qui sait peut-être lui proposerait-on sa place en remerciement des services rendus, il pourrait en fin faire tourner cette agence à son idée et des idées, il n’en manquait pas.

Dans son bureau, le directeur et Gabriel discutaient sur les placements les plus rentables du moment. Gabriel expliquait qu'il souhaitait un placement de type père de famille, petit rendement mais sécurité absolue. De toute façon 157 millions d'euros même placés à 1% par an, cela donne 4300 euros d'intérêts par jours, plutôt confortable comme situation.  Ils furent interrompus par la sonnerie du téléphone. Le directeur jeta un coup d'œil à l'afficheur et s'excusa auprès de Gabriel, il ne pouvait pas éviter cet appel.

- Agence Paris – Littré, Romain Théret à l'appareil.

- Bonjour Romain, c'est Ahmed Aipan.

- Oui, j'ai reconnu ton numéro.

- Que peux-tu dire de Jean Cive ?

- Sans mauvais jeu de mot qu'il a la dent dure avec ses collègues et vu ton appel, il a dû aussi me casser du sucre sur le dos.

- Tu ne crois pas si bien dire. Je veux de ta part et de celle de tout le personnel de l'agence un témoignage sur son comportement. Je veux que tu me détailles sa manière de travailler, de diriger les collaborateurs et d'accueillir les clients. Je veux du factuel pas du ressenti. J'ai besoin de tout ça pour ce soir dernier carat. Tu diras au sieur Cive qu'il est attendu à la direction des ressources humaines demain à 14:00. Prends s'il te plait un air contrit en lui disant ça, je tiens à ce qu'il arrive conquérant et défenses abaissées. Nous on en reparle ce soir, à l'apéro en tête à tête ok ?

- Oui Ahmed bien compris.

- Et surtout tu m'expliqueras ce qui qui t'a poussé à lui voler dans les plumes depuis le temps que je te le demande.

- Un client à 150 millions d'euros.

- Ca fait 150 millions de bonnes raisons ça, bises mon cœur à ce soir.

- Oui, à ce soir.

Romain raccrocha le combiné et regarda Gabriel. Jamais, il ne s'était senti aussi bien. Il fallut que Gabriel lui rappelât d'avoir l'air contrit avant de recevoir Jean Cive. Gabriel quitta la pièce en serrant la main de Romain juste avant que Jean ne rentre dans le bureau. A son départ de l'agence Jean Cive était rayonnant. Il ne doutait pas de sa prochaine promotion à l'air dépité de cet idiot de chef d'agence. Enfin, on allait reconnaitre ses qualités.

Par Pascal - Publié dans : Phénix - Communauté : Histoire, video, photo
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